[Dans les écrits de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny]
A une Postulante
Marseille, 23 avril 1876.
MA CHÈRE PETITE SOEUR,
J’ai bien regretté de ne pouvoir répondre plus tôt à vos lettres, si délicates, si vraiment filiales, et vous envoyer un mot d’encouragement. Mais il a plu à Notre-Seigneur de m’éprouver d’une façon bien douloureuse, par la mort de ma bien-aimée et excellente mère, la seule personne de ma nombreuse famille qui me restait au monde, car j’ai vu mourir tous les autres. Vous pensez que ce nouveau coup a rouvert les anciennes plaies de mon coeur; mais j’adore les desseins de Notre-Seigneur et je baise sa main divine, en répétant le fiat du fond de mon âme. Ma mère est morte comme une sainte ; priez M..., quand vous la verrez, de vous raconter les détails que lui donne à ce sujet ma Soeur X...; ils vous intéresseront. Elle a promis de prier pour vous là-haut, près du Coeur de Jésus.
Je compatis profondément à la peine que doit forcément vous causer l’attente de votre entrée en religion, attente prolongée par Notre-Seigneur lui-même, puisqu’elle est occasionnée, non par votre volonté ou votre choix, mais par des événements de Providence, aussi inattendus que douloureux, auxquels nous ne pouvons rien changer. Persuadez-vous bien, chère enfant, que tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu ces événements de Providence, ces croix imprévues, ces contre-temps inévitables, portent avec eux une grâce que la souffrance nous communique, et qui est plus profitable à nos âmes que la réalisation immédiate de nos plus saints désirs. II faut savoir tout modérer, et vous n’êtes pas la première que Dieu, d’une façon ou d’une autre, arrête au bord de la terre promise et fait mûrir par le retard. Une vocation vaut ce qu’elle coûte, ordinairement : se présenter, être admise, supporter quelques combats intérieurs et quelques petites oppositions de sa famille, qu’est-ce donc pour acheter cette grande grâce de l’entrée et de la persévérance en religion ?... Alors Dieu donne quelque autre épreuve; quelquefois, c’est la santé altérée qui prolonge l’attente, jusqu’à faire parfois craindre de n’arriver jamais; d’autres fois, la famille se réveille tout d’un coup et exige des délais nouveaux; ou un deuil force à tout remettre, vu la désolation et es exigences de l’entourage, etc., etc. Pendant ce temps, la petite plante pousse des racines, le coeur s’échauffe de saints désirs, l’âme se purifie et se détache par le renoncement à ses petits plans de retraite, la vocation se fortifie et se mûrit ; c’est un grand bien. Laissons faire Dieu quand c’est lui qui nous retarde dans l’accomplissement de nos voeux, il n’y a rien à craindre et il y a beaucoup à gagner. Or, jamais ce n’est plus directement Dieu qui agit que dans les événements de Providence, indépendants de notre volonté, comme la maladie, la mort, etc. Je suis consolée de penser que le coup, pour vous donner la grâce consolidante de l’attente, a frappé sur moi, plutôt que sur vous, par un malheur personnel.
Ranimez donc votre courage, et que Notre-Seigneur vous trouve ferme et persévérante; les Vierges sages ne seraient pas entrées au festin des Noces, si, voyant prolonger leur attente dans la nuit, elles s’étaient lassées d’attendre ou si elles étaient allées courir à droite et à gauche en se lamentant et en fouillant tous les chemins par où 1’Epoux pouvait arriver, au lieu de l’attendre là où elles devaient demeurer pour cela ; elles auraient très bien pu, au milieu de leurs recherches, être en une route pendant qu’Il arrivait par l’autre, et, le manquant au passage, arriver trop tard, lorsque les portes étaient closes. Imitez leur patience, leur prévoyance et leur recueillement. Abandonnez-vous à la bonté de Notre-Seigneur, endormez-vous dans les bras de la Providence ; et, au milieu de cette nuit de l’attente, vous ne tarderez pas à entendre crier : « Voici l’Epoux qui vient, allez au devant de Lui ! (1) » Alors, vous vous lèverez, généreuse, et, avec la lampe que vous aurez remplie d’avance de l’huile de vos bonnes oeuvres et de vos sacrifices, vous vous hâterez à la suite du divin Epoux, jusqu’à la salle du festin, dont les portes se fermeront entre le monde et vous pour toujours. Cette heure fortunée va sonner pour vous, ma chère fille, pendant le mois de notre Mère du Ciel. Ainsi, tenez-vous prête. Ecrivez-moj un mot, afin que je sois fixée moi-même sur votre exactitude pour le 25 ou 31 mai. D’ici à ce moment, préparez votre lampe spirituelle, et ne vivez plus que pour Jésus seul. Courage et confiance ! Comptez sur mon affection maternelle et mon entier dévouement; il me tarde de vous voir toute à Jésus.
Priez beaucoup pour ma pauvre mère et pour moi.
MARIE DE JÉSUS.
(1) Matth., 25, 6.
[Lettres de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny, fondatrice de la Société des Filles du Cœur de Jésus. - Paris, P. Lethielleux, 1965 – Imprimatur: Luçon, le 11 Octobre 1965. L. Bouet, v. g.]