[Dans les écrits de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny]
1er avril 1876.
Votre lettre du Précieux Sang m’arrive, avec celles de toutes vos soeurs. Vous ne sauriez croire le baume que vous mettez sur tant de plaies rouvertes, béantes, saignantes, que l’épreuve actuelle à ravivées en mon coeur. Souffrir pour Jésus et pour vous, c’est-à-dire pour le règne de Jésus en vous, et vous savoir infidèles, lâches, déserteuses de sa sainte cause, vous comprenez que ce serait le martyre. Hélas ma fille, ce martyre-là, nous l’avons fait endurer au Coeur de Notre-Seigneur !...
L’inutilité de ses souffrances pour les pécheurs obstinés, et même pour nous, misérables, nous les Filles de son Coeur, nous ses Epouses; l!inutilité de son Sang versé à flots; la perte des âmes malgré sa mort douloureuse ; les dédains de ses plus aimés, malgré toutes ses agonies ; voilà le martyre des martyres pour Notre-Seigneur. — Et nous le lui avons infligé! Chaque grâce repoussée, c’est une goutte du Sang de Jésus foulée aux pieds, c’est une tendre avance de son amour méprisée !
Aussi, en assistant par anticipation au triste spectacle de nos ingratitudes, de nos infidélités, de nos dédains, de nos insouciances, son âme a été triste jusqu’à la mort, ainsi qu’il l’a dit lui-même.
Venez, ma chère fille, allons le dédommager et le consoler ; si beaucoup rendent inutile son sang répandu, nous, allons le recueillir et l’offrir ; si beaucoup l’insultent sur la Croix, nous, bénissons-le et laissons-nous clouer avec lui à ce bois sacré; si beaucoup le blasphèment, nous, baisons ses plaies adorables; si beaucoup le trahissent, nous, serrons-nous autour de lui, et par une fidélité sans réserve, dédommageons-le des injures des uns, des résistances des autres, de la haine du monde et des froideurs du grand nombre. — Quelle mission, ma fille, quel honneur et quels devoirs ! Avec la grâce, disons mille fois, car avec elle tout est possible « Plutôt mourir que de trahir ! »
Vous comprenez donc, mon Enfant, que souffrir pour Jésus en vous et vous savoir fidèles, dévouées, fermes au devoir, désireuses du bien et persévérantes, c’est l’adoucissement à toutes les douleurs ; c’est voir la fleur et espérer le fruit, sur un arbre qui coûte des peines inouïes à cultiver, émonder, arroser, et à qui Dieu donne l’accroissement.
Que Notre-Seigneur vous bénisse toutes pour votre fidélité à me procurer cette satisfaction.
C’est Jésus lui-même qui paiera le peu que je vous donne Comment ! il a donné son Sang pour vous, mon Enfant; et moi, sa pauvre servante, je ne donnerais pas un peu de ma souffrance et du sang de mon coeur pour votre âme qu’il a rachetée ?...
Un coeur de plus qui l’aime, ce doux Jésus, une âme de plus qui se consacre à Lui et qui le glorifie, une bouche de plus qui le confesse et qui le chante, un esprit de plus qui le contemple et se remplisse de Lui ; et plus tard, un jour au Ciel, si vous êtes fidèle jusqu’à la fin, un petit Séraphin qui brûle pour Lui pendant l’Eternité entière.., vraiment, ma fille, cela vaut la peine de verser son sang jusqu’à la dernière goutte. Et si c’est là une folie, selon le monde, je vous prie de remarquer que Jésus-Christ m’en a donné le premier l’exemple ; c’est la même folie qui a précipité le Verbe divin sur la terre, si l’on peut se servir de cette expression ; c’est Ja même folie qui l’a anéanti à Nazareth, qui l’a couvert de sang au Jardin des Olives, qui l’a tué au Calvaire, et qui a percé son Coeur mort pour en tirer la dernière goutte de sang, comme l’épuisement de son amour. Si la gloire de Dieu, et le salut, la perfection d’une âme valent le Sang de Jésus-Christ, ils valent bien mon sang et ma vie misérables. Aimez Jésus, ma fille, sacrifiez-lui toutes choses, et vous me comprendrez.
[Lettres de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny, fondatrice de la Société des Filles du Cœur de Jésus. - Paris, P. Lethielleux, 1965 – Imprimatur: Luçon, le 11 Octobre 1965. L. Bouet, v. g.]